Côté Ouest N°75 Avril-Mai 2008
Carnets de l’ouest
Belles épaves
Fasciné par les lieux abandonnés qui racontent une vie passée, Philippe Forestier photographie depuis bientôt quarante ans les cimetières de bateaux en Bretagne. Ses images fortes, qui condensent toutes les tonalités de l’Ouest, offrent une riche palette d’inspirations autant qu’elles militent pour la survie des épaves.
Les squelettes des langoustiers, sardiniers et thoniers, tous mêlés se décomposent dans le sable, les bordées et les varangues croupissent dans la vase, les membrures pourrissent dans le varech… Toute cette vie maritime qui disparaît lentement exerce un attrait irrésistible sur l’objectif du photographe qui fixe sur la pellicule les couleurs, le graphisme et l’atmosphère chargée d’histoire des cimetières de bateaux. Bien qu’illusoire, la photographie n’est-elle pas une tentative de figer le temps pour en conserver les souvenirs ?
Durement touchés par plusieurs crises de la pêche au siècle dernier, les capitaines furent réduits à abandonner leurs navires avant de se tourner vers d’autres activités. Et si l’on peut rencontrer beaucoup d’épaves dans les abers, c’est en une dizaine d’endroits bien précis que ce sont regroupés ces éléphants venus trouver leur ultime repos.
De tous les cimetières de bateaux bretons, seul celui de Lanester, dans le Morbihan, est légal. Sur le bord de la route, un panneau officiel indique son emplacement et des bancs sont même prévus pour le confort du visiteur. Ironie du sort, les bateaux qui reposent ici étaient venus s’abriter des dangers allemands lors de la Seconde Guerre mondiale et furent coulés par un « malencontreux » bombardement anglais !
Malheureusement, la plupart des cimetières sont voués à la disparition. Celui de Moguériec, dans le Finistère, a fait place à une extension du port de plaisance. Les épaves de Douarnenez ne connaîtront pas une deuxième vie malgré la tentative de restauration par un chantier de bénévoles œuvrant pour la sauvegarde de la mémoire de la construction marine.
Si ceux de Léchiagat, de Camaret ou d’Audierne, situés près du port, sont encore en sursis, celui du Magouër résiste tant bien que mal à la décision de destruction votée en conseil municipal pour des raisons de… sécurité. A une époque où l’on supprime les arbres du bord des routes pour protéger les automobilistes, quoi de plus naturel que de vouloir empêcher le promeneur de s’écorcher sur un clou rouillé ! En fait, il est économiquement plus facile de démolir que de sécuriser. Et tant pis pour les mariés en quête du cliché insolite, ils n’auront qu’à aller se faire photographier ailleurs…
But de visite pour le touriste, endroit de méditation pour le rêveur, lieu d’inspiration pour l’artiste, les cimetières de bateaux sont une place pour le souvenir du patrimoine maritime. Et dire qu’avec la destruction des épaves, les bateaux connaîtront une deuxième mort.
Légendes des photos :
Au Guilvinec comme à Camaret, à Audierne comme à Douarnenez, ces chantiers abandonnés pour toujours et appelés tôt ou tard à la destruction n’ont pour seul horizon qu’une mer sur laquelle ils ne vogueront plus jamais. Leurs campagnes de pêche font désormais partie de l’histoire ancienne.
Sous le soleil de Camaret, on ne pourra plus admirer la Maryvonne. Sa fière carcasse de langoustier, véritable ode au savoir-faire des charpentiers de marine, a été récemment détruite. Et l’Amazone échouée sur l’Odet n’a rien à envier à la Reine des mers (Rouannez Ar Moor) qui s’enlise sur son piteux trône du Port Rhu.